Atteindre l'objectif 30x30 : une approche infranationale 

L'une des cibles phares du Cadre Mondial de la Biodiversité de Kunming-Montréal (CMB-KM), adopté lors de la COP15 en 2022, est de protéger 30 % des zones terrestres, aquatiques et marines d'ici 2030.

Mais comment choisir quelles zones protéger ? Comment bâtir un réseau d’aires protégées prenant en compte les exigences écologiques, climatiques, et les réalités économiques ? À quelle échelle devrait-on analyser nos territoires pour faire les choix les plus judicieux ?

Ces questions sont au cœur des réflexions menées par Habitat, en partenariat avec des chercheurs de l’Université du Minnesota, de l’Université McGill, du Centre de la science de la biodiversité du Québec et le Natural Capital Project de l’Université Stanford, dans un mandat coordonné par le Ministère des relations internationales et de la francophonie (MRIF), et réalisé en collaboration avec le Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).

Dans le cadre de ce projet, l’équipe a développé une approche innovante permettant d’informer les décisions des acteurs infranationaux dans la réalisation de l’objectif 30x30, et de fournir des pistes de réflexion aux gouvernements du Québec et de la Californie, en trois étapes :

  1. Identifier les zones de haute valeur écologique

  2. Évaluer la performance écologique de scénarios de conservation de 30% alternatifs

  3. Modéliser les impacts économiques des scénarios de conservation

Identifier les zones de haute valeur écologique pour la conservation

Cinq critères clés, alignés avec les objectifs du CMB-KM et les meilleures pratiques issues de la littérature scientifique, ont été retenus pour identifier les zones de grande importance pour la conservation :

  • Richesse de la biodiversité actuelle (2020) et future (2080)

  • Richesse en espèces menacées

  • Connectivité

  • Atténuation des changements climatiques

  • Résilience climatologique

L’équipe a sélectionné et harmonisé de multiples jeux de données locaux et nationaux afin d’obtenir une image de haute résolution de la valeur écologique de l’ensemble des territoires étudiés, tout en distinguant les zones déjà protégées à l’heure actuelle.

Un outil d’optimisation multicritères a ensuite été appliqué, ce qui a permis de mettre en évidence les zones qui contribueraient le plus à la conservation de la biodiversité telle que définie par nos cinq critères. De plus, l’outil permet la sélection des zones complémentaires aux aires protégées actuelles, afin d'atteindre la cible de la conservation de 30% du territoire selon l’échelle d’analyse choisie.

L’échelle d’analyse impacte la distribution des aires protégées et influence donc largement le profil du réseau étendu d’aires protégées.

Dans le cadre de cette étude, trois scénarios différents ont été développés et évalués avec l’outil au Québec :

  • À l’échelle provinciale, l’outil identifie majoritairement des zones à protéger dans le Sud du Québec et dans les basses terres de la Baie James, en raison de la richesse des espèces, de l’importance de la connectivité et du carbone stocké sous terre.  

  • À l’échelle des provinces naturelles, on obtient une distribution des nouveaux sites à conserver qui représente davantage les régions nordiques et favorise la protection des refuges climatiques futurs.

  • Dans le troisième scénario, contraint d’établir 30% d’aires protégées par zones territoriales, la distribution des aires sélectionnées est bien répartie dans l’ensemble du territoire, ce qui se traduit par une meilleure protection de l’unicité des espèces propres à chaque écosystème

Il est possible d’identifier les zones de chevauchement entre les trois scénarios afin de désigner les aires qui, peu importe l’échelle considérée, sont considérées comme ayant les plus hautes valeurs écologiques pour la conservation.

Les scénarios de planification de la conservation à grande échelle sont plus performants pour la biodiversité, mais ne sont pas distribuées de manière équitable sur le territoire. 

Évaluer la performance écologique de scénarios de conservation alternatifs pour faire des choix éclairés

Une fois les zones de haute valeur identifiée, plusieurs facteurs complémentaires doivent être considérés pour évaluer la performance écologique relative de chaque scénario de conservation.

C’est ce qu’Habitat a accompli en créant un outil complémentaire permettant de calculer et de visualiser les avantages et compromis générés par chaque scénario, basé sur 8 indicateurs sélectionnés spécifiquement pour représenter au mieux les objectifs du CMB-KM. Ces indicateurs incluent notamment la représentativité des types d’écosystèmes et des taxons d’espèces, et l’intégrité des zones considérées pour la conservation, soit des éléments qui viennent nuancer les résultats obtenus à l’étape précédente. La performance de chaque scenario peut être visualisée dans la figure 2.

Bien qu’il soit impossible d’obtenir un scénario qui optimise la performance de tous les indicateurs à la fois, l’outil développé par Habitat permettra aux gouvernements infranationaux et nationaux, ainsi qu’autres acteurs de la conservation agissant sur de larges territoires, de mieux comprendre les compromis qui découlent de la priorisation de certains critères. L’outil permettra ainsi d’optimiser leur démarche de protection du territoire en fonction des réalités locales.

Modéliser les impacts économiques régionaux 

Au-delà des considérations écologiques, Habitat et ses collaborateurs se sont penché sur les impacts économiques liés à l’atteinte du 30x30. Le cadre de modélisation intégré terre-économie-services écosystémiques (TESE) développé par la Banque Mondiale n’avait auparavant jamais été appliqué à une échelle régionale. Pourtant, il s’agit d’une approche prometteuse pour mieux comprendre les répercussions économiques de l’établissement d’aires protégées.  

L’équipe a donc développé une application des outils GTAP-InVEST (modèle TESE), aux scénarios 30x30 développés pour le Québec et la Californie. 

Les analyses montrent que l'atteinte de l'objectif 30x30 n'a que des impacts économiques mineurs sur les économies infranationales. En effet, l'extension des aires protégées génère des bénéfices qui compensent les éventuels impacts économiques négatifs de la conservation de 30 % des terres.

Dans le cas d'un scénario optimisé, atteindre l'objectif 30x30 au Québec entraînerait une légère baisse du PIB (-0,04 %) par rapport à un scénario de statu quo (maintien des aires protégées actuelles soit 17% du territoire). Cette légère diminution s’explique par les pertes économiques provoquées par une baisse de l’exploitation des ressources naturelles (ex : exploitation forestière), compensées par plusieurs bénéfices, incluant :

  • Une amélioration des services écosystémiques, entraînant par exemple une augmentation du rendement agricole. 

  • Une réduction des émissions de carbone liées à l'utilisation des terres, particulièrement dans un contexte de changement climatique futur. 

  • Une augmentation des prix fonciers. 

Bien que le modèle GTAP-InVEST offre des perspectives intéressantes pour comprendre l’impact à haut niveau des décisions de conservation sur l’économie, l’utilisation de jeux données plus granulaires qui prendraient notamment en compte les dynamiques économiques interrégionales permettraient de raffiner ses résultats.  

En conclusion 

Le travail accompli au cours de ce projet permet de confirmer qu’une approche de conservation infranationale bien conçue permet non seulement de contribuer à la protection de la biodiversité, mais aussi de garantir des impacts économiques gérables. Le défi de la conservation, lorsqu'il est abordé de manière stratégique, offre un équilibre entre développement économique et préservation des écosystèmes, permettant d'atteindre l'objectif 30x30 de manière durable et équitable. 

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