Conversation avec Andrew Gonzalez, co-fondateur d’Habitat et co-président de l’évaluation accélérée de l’IPBES sur le suivi de la biodiversité et la contribution de la nature aux populations.

La nature fournit des services vitaux aux populations humaines. Elle est notre plus grande alliée face aux menaces des changements climatiques. Et pourtant, la nature se détériore partout à travers le monde à cause des pressions qu’exercent les activités humaines sur la biodiversité. Pour pouvoir la préserver, il est impératif de la comprendre et de pouvoir suivre son évolution.

 


L’IPBES, le « GIEC de la biodiversité »

La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) est un organisme indépendant composé de 147 États membres.  La plateforme, parfois désignée comme "le GIEC de la biodiversité", a pour mission de constituer une interface entre la communauté scientifique et les décideur•euses politiques. Elle contribue ainsi à la prise de décisions par la diffusion d'une connaissance pluridisciplinaire sur la biodiversité et les écosystèmes aux échelles mondiale, régionale et par thèmes.


 

Mieux évaluer la biodiversité et les services écosystémiques à l’échelle mondiale : un besoin urgent

Dans le Cadre Mondial de la Biodiversité de Kunming-Montréal (CMB), signé en décembre 2022, une vision claire se dessine :

« D'ici à 2050, la biodiversité est appréciée, conservée, restaurée et utilisée avec sagesse, ce qui permet de maintenir les services écosystémiques, de préserver la santé de la planète et de procurer des avantages essentiels à tous les peuples. »

4 grands objectifs et 23 cibles à atteindre d’ici 2030 sont énoncés, tels que :

  • La protection de 30% des terres, eaux intérieures et des zones côtières et marines ;

  • La restauration de 30% des écosystèmes dégradés ;

Face à ces décisions historiques, des questions émergent : Sommes-nous capables de mesurer l’évolution de la biodiversité et des écosystèmes à l’échelle mondiale ? Peut-on évaluer les impacts positifs ou négatifs sur la biodiversité et les écosystèmes des actions prises par les États suite à l’accord de Kunming-Montréal ?

« Nous nous sommes rendu compte qu’aucun pays ne pouvait facilement mesurer ses progrès sur l’ensemble des objectifs »
— Andrew Gonzalez

La COP15 décide alors de faire appel à l’IPBES pour évaluer notre capacité mondiale à mesurer l’état et tendances de la biodiversité et les biens et services écosystémiques.

 

82 expert•e•s scientifiques mobilisé•e•s pendant 2 ans

Les professeurs Andrew Gonzalez (Canada/Royaume-Uni), Patricia Miloslavich (Australie/Venezuela) et Alvaro D'Antona (Brésil) ont été désigné•es pour diriger une équipe équilibrée et interdisciplinaire qui comprendra 82 chercheur•euse•s spécialisé•es dans le suivi de la biodiversité et des contributions de la nature à l'homme dans les écosystèmes terrestres, d'eau douce et marins. Le bassin de chercheur•euse•s sélectionné•e•s sera issu du monde entier pour assurer une bonne représentation de la diversité socio-économique et biogéographique de la planète.

Ces scientifiques travailleront sur les quatre chapitres du rapport d'évaluation :

  

1. Le contexte actuel

Le chapitre 1 décrit l'objectif de l'évaluation et les publics visés. Il décrit les besoins auxquels l'évaluation est censée répondre, ainsi que le plan mis en œuvre pour y parvenir. Il présente les questions à évaluer dans les chapitres suivants. Par exemple ;

  • Quelles sont les données manquantes aujourd’hui?

  • Les données existantes sont-elles accessibles à tous?     

  • Comment accroître notre capacité à surveiller et à comprendre les changements de la biodiversité ?

En effet, Andrew précise « Certains pays sont déjà dotés de technologies avancées qui leur permettent d’obtenir une partie des données nécessaires, mais l’idée du CMB, c’est d’aider tout le monde en même temps pour qu’on puisse guider l’action pour la conservation de façon égalitaire et concertée. »

 

2. Les besoins en données    

Le chapitre 2 évaluera les besoins en termes de données, d'indicateurs et de modèles pour éclairer la mise en œuvre des actions requises par les objectifs et les cibles du cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal. La priorité sera donnée à l'évaluation des besoins en données pour les indicateurs principaux et, si possible, pour d'autres indicateurs du cadre de suivi.

Ce chapitre se penchera également sur la résolution des problèmes méthodologiques, y compris l'agrégation des données nationales dans les indicateurs mondiaux et la désagrégation des indicateurs mondiaux.

Seront aussi examinés les autres besoins éventuels de la science du suivi de la biodiversité, des autres disciplines scientifiques et des différents systèmes de connaissances, tels que ceux des peuples autochtones et des communautés locales, afin de soutenir l'application des indicateurs pour informer, le cas échéant, l'élaboration des politiques, la prise de décision et la planification, du niveau local au niveau national.    

« C’est un vrai défi d’identifier les bons indicateurs, car aujourd’hui les données sont soit manquantes, soit biaisées, soit trop chères. »
— Andrew Gonzalez

 

3. Évaluer les défis     

« Il est important de connaitre l’ampleur du défi. C’est pour ça qu’il faut faire ce premier constat sur nos capacités et compétences », explique Andrew.

Dans le chapitre 3, les données actuellement générées et les systèmes qui collectent et mobilisent ces données seront évalués. La possibilité de trouver, d'accéder et de réutiliser les données existantes sera examinée, ainsi que leur couverture géographique et taxonomique, et leurs lacunes. 

Ce chapitre évaluera également la capacité, l'aptitude et l'infrastructure disponibles pour surveiller la biodiversité, y compris la capacité de télédétection et de suivi in situ disponible, le soutien institutionnel, les structures de gouvernance et les sources de financement.

Une autre dimension essentielle à évaluer sera la mise en œuvre des systèmes communautaires de suivi et d'information, y compris le rôle de l'action collective des peuples autochtones et des communautés locales, et comment les développer.

 

4. Les options qui s’offrent à nous pour augmenter notre capacité à mesurer la biodiversité

Andrew termine « On sait déjà qu’on manque de données et de capacité à récolter les données. Il est maintenant très important d'identifier les prochaines étapes et les ressources nécessaires pour renforcer les capacités nationales et mondiales de suivi des changements de la biodiversité ».

Le dernier chapitre évaluera les besoins financiers, institutionnels, humains et en matière de capacité, afin d'établir et de renforcer des projets et des programmes de suivi nationaux et infranationaux durables et à long terme, y compris ceux menés par les peuples autochtones et les communautés locales. Il explorera les possibilités offertes par les technologies existantes et nouvelles. Il identifiera les moyens d'améliorer la coopération scientifique et technique, le renforcement des capacités et la mise en œuvre volontaire des technologies de l'information et de la communication.

    

Un défi de taille

« Bien sûr que j’ai hésité quand on m’a proposé le poste. C’est une énorme responsabilité que je dois mener à côté de mes autres activités. Mais d’un autre côté, je ne pouvais pas dire non, c’est un aboutissement de carrière pouvoir mener une activité de recherche d’une telle ampleur et il est urgent de réfléchir à la question de la biodiversité à l’échelle mondiale. »
— Andrew Gonzalez

Andrew résume « Si je dois faire une analogie pour expliquer mon travail à ma mère, j’essaie de faire le lien avec la crise climatique. Aujourd’hui, nous connaissons très bien les tendances liées aux changements climatiques, car nous avons des stations météorologiques et des satellites qui mesurent les températures et les émissions de GES depuis de nombreuses années. Nous disposons donc d’un système de suivi adéquat par rapport aux engagements de réduction de GES. Le suivi du climat aide à soutenir la mise en œuvre d’actions et de mesures d'atténuation et d’adaptation à l’échelle mondiale, nationale et même municipale. Pour la biodiversité, les besoins sont similaires. Si nous souhaitons adapter notre économie, notre système alimentaire, nos industries et nos entreprises pour le futur, nous avons besoin d’une meilleure capacité de mesure des impacts et bénéfices. »

D’ici deux ans, les experts remettront un rapport et un résumé pour les décideur•euse•s de l’ensemble des représentants des États membres d’IPBES, une étape cruciale dans le processus de partage des connaissances et qui permettra de bâtir de la confiance dans les solutions.         

L’objectif ? Obtenir des engagements fermes et du financement pour investir dans la biodiversité, afin de mieux la connaître et mieux la protéger.

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