Planifier la conservation du Grand écosystème du parc national de la Mauricie

Dans le contexte actuel des changements globaux, les milieux naturels font face à un nombre croissant de menaces biologiques (insectes) et climatiques, en plus de leur susceptibilité au développement urbain et agricole. La dégradation et la perte généralisée de ces milieux ainsi que la perte de connectivité entre ceux-ci ont été sans précédent au cours des 50 dernières années. Pourtant, il est essentiel de maintenir et d’améliorer la connectivité écologique, notamment pour soutenir la biodiversité, favoriser la résilience de ces milieux et continuer à bénéficier des services écosystémiques.

L’idée derrière la protection de la connectivité écologique est d’intégrer un réseau de composantes biologiques, climatiques et de milieux naturels et semi-naturels (ex. milieu agricole), interconnecté avec des parcelles d’habitats (milieu naturel de bonne qualité), des zones tampons et des corridors spatialement définis. La présence de corridors et zones tampons est essentielle pour permettre le déplacement entre les divers habitats. Le maintien de ces réseaux écologiques représente donc un élément central à la diversité et la résilience d’un territoire.

La notion de résilience quant à elle fait référence à la capacité des écosystèmes forestiers à se rétablir suite à une perturbation. Elle est grandement influencée par la diversité puisque plus les espèces d’arbres qui composent un écosystème forestier présentent des caractéristiques biologiques diversifiées, plus elles réagiront différemment aux menaces et plus elles seront résilientes à un large spectre de perturbations.

Autrement dit, l’amélioration de la résilience des milieux naturels dépend du maintien de la diversité et de la connectivité entre les habitats. En ce sens, les aires protégées et les parcs jouent un rôle particulièrement important dans le maintien de la connectivité des habitats, que ce soit à l’échelle locale ou régionale.

Notre étude réalisée pour Parcs Canada avait comme objectif d’évaluer la connectivité écologique à l’échelle du Grand écosystème du parc national de la Mauricie et de réaliser le portrait de la résilience de ses peuplements forestiers. Les résultats de ce projet se veulent un outil d’aide à la décision afin de guider la gestion de la conservation du parc national de la Mauricie. Il en ressort globalement qu’il est nécessaire de développer une vision plus territoriale afin de relier plus facilement les différents parcs entre eux et ainsi assurer le maintien de la diversité, de la connectivité et de la résilience.

Connectivité et déplacement des espèces au sein du territoire

Cinq espèces ont été sélectionnées pour étudier la connectivité du parc. La sélection de celles-ci s’est fondée sur trois éléments : 1. la représentativité d’un éventail de traits fonctionnels, 2. la présence au cœur des enjeux environnementaux et 3. la disponibilité de données. Notre équipe a d’abord analysé l’indice de qualité de l’habitat pour évaluer la capacité du territoire à répondre aux besoins fondamentaux d’une espèce (se déplacer, se nourrir, se reproduire). L’indice reflète ainsi la proportion d’habitats de qualité présents dans la région d’étude pour chacune des espèces étudiées :

  • Salamandre cendrée : 76%, apprécie les forêts humides et matures, feuillues ou mixtes

  • Ours noir : 75%, il apprécie les vastes étendues de forêts feuillues ou mixtes et tolère un large éventail de conditions environnementales

  • Loup de l’Est : 61% , il apprécie les vastes étendues de forêts feuillues ou mixtes (mais très sensible à l’activité humaine)

  • Martre d’Amérique : 59%, apprécie les forêts matures, denses, de conifères ou mixtes

  • Tortue des bois : 9.1%, se localisent exclusivement le long du réseau hydrique

Notre équipe a ensuite réalisé deux analyses de connectivité qui mettent en évidence des corridors hydrologiques et terrestres assurant le déplacement des espèces dans la région. Notre équipe a développé une carte synthèse superposant les corridors de déplacement des cinq espèces sélectionnées. Cette carte pourrait servir à établir un réseau d’aires protégées interconnectées au sein du Grand écosystème du parc national de la Mauricie et d’identifier les zones dans le paysage à restaurer afin de soutenir les déplacements des espèces.

Carte synthèse de l’analyse de connectivité noeud à noeud superposant les corridors de déplacement pour 5 espèces

Priorités de conservation selon les analyses de connectivité

Résilience et vulnérabilité des forêts du parc national de la Mauricie

L’évaluation de la diversité fonctionnelle et l’analyse de la vulnérabilité des espèces face aux menaces biologiques et climatiques ont permit de fournir des orientations et des recommandations pour l’aménagement du parc afin d’améliorer la résilience de ses forêts.

L’analyse de diversité fonctionnelle permet de déterminer si les caractéristiques biologiques des espèces d’arbres recensées sont suffisamment diversifiées, partant du principe que ces caractéristiques déterminent la façon dont les espèces d’arbres vont répondre et s’adapter aux conditions environnementales.

Les résultats montrent une répartition hétérogène de la diversité fonctionnelle des forêts du parc. Par contre, il y a une certaine concentration de peuplements peu diversifiés vers le centre et l’est du parc.

L’analyse des vulnérabilités met en évidence les impacts potentiellement répandus de la spongieuse asiatique, du longicorne asiatique et de la sécheresse. La quasi-totalité des peuplements forestiers pourrait être sujette à des épisodes de défoliation (chute des feuilles) par la spongieuse asiatique. Ces défoliations pourraient facilement s’additionner aux stress hydriques associés aux épisodes de sécheresses prévues pour la région.

D’autres menaces climatiques pourraient constituer des facteurs de stress additionnels ayant un impact sur la capacité des forêts à se remettre suite à des perturbations. Celles-ci sont réparties de façon assez uniforme dans les forêts ou relativement peu préoccupantes en raison de la faible probabilité d’évènements prolongés ou de la vulnérabilité des espèces forestières à ces menaces.

Répartition des peuplements en fonction de leur vulnérabilité aux menaces biologiques préoccupantes pour la région

Répartition des peuplements en fonction de leur vulnérabilité aux menaces climatiques préoccupantes pour la région

Des peuplements peu diversifiés, vulnérables aux menaces et jouant un rôle important dans la connectivité du territoire

Afin de mieux comprendre l’impact de la vulnérabilité des peuplements forestiers face aux changements globaux sur la connectivité au sein du parc, la carte localisant les peuplements les plus à risque (+ de 75% du peuplement vulnérable) a été superposée avec la carte de priorisation des corridors de déplacement des 5 espèces étudiées. Le sud du territoire du parc étant fortement anthropisé, les priorités de conservation pour la connectivité se trouvent majoritairement dans le nord du territoire (figure 22). Or, les résultats nous indiquent qu’une plus grande proportion de peuplements peu diversifiés et vulnérables à au moins une menace pouvant affecter plus de 75 % de leur superficie se trouve dans la portion nord-est du territoire.

Les résultats concluent qu’il faut prioriser les interventions axées sur l’amélioration de la résilience dans les secteur nord-est du territoire puisque ces forêts sont les moins diversifiées, les plus vulnérables aux menaces les plus préoccupantes et sont les plus importantes pour la connectivité.

 
 

Ce qu’il faut retenir…

  • D’abord, le parc se situe au cœur d’une région majoritairement recouverte de forêts dont la composition est principalement mixte, avec une concentration des activités anthropiques dans le sud du territoire, près de Trois-Rivières. L’activité forestière est importante dans le nord du Grand écosystème du parc national de la Mauricie. La répartition spatiale de l’occupation des sols se traduit directement au niveau de la mosaïque de connectivité dans le paysage ; la tendance générale issue des analyses indique une coupure presque absolue dans la connectivité des habitats entre la portion nord et la portion sud du territoire, particulièrement pour des espèces comme le loup de l’Est et la martre d’Amérique. Bien que cette tendance soit moins pour la tortue des bois, la majorité des cours d’eau d’importance très élevée pour le déplacement de l’espèce se trouvent dans le nord du Grand écosystème du parc national de la Mauricie. Cette distinction au niveau de l’importance pour la connectivité peut être attribuée presque exclusivement à l’activité humaine, puisque le sud du territoire comprend la plus forte concentration de milieux urbains et agricoles.

  • Les résultats attirent aussi l’attention vers le fait que le parc national de la Mauricie constitue un point central avec les aires protégées avoisinantes et favorise ainsi le déplacement des espèces au sein du territoire du Grand écosystème du parc national de la Mauricie. Ainsi, les pratiques de gestion du territoire visant le maintien et l’amélioration de la connectivité du paysage (surtout avec la partie sud) contribueront également au maintien du réseau régional.

  • L’optimisation des priorités de conservation telle qu’elle a été réalisée permet d’identifier les milieux naturels contribuant le plus à la connectivité en fonction des indicateurs sélectionnés. Une telle analyse optimise la planification de la conservation par rapport aux approches plus conventionnelles puisqu’elle englobe davantage de paramètres, ce qui peut contribuer à la mise en œuvre d’objectifs de conservation optimisés et plus ambitieux. Dans le cas de la présente étude, les résultats des analyses réalisées et de la priorisation des habitats et des corridors de déplacement mettent en valeur l’importance de la portion nord du territoire pour diriger les efforts de conservation actuels et futurs.

  • Les résultats de nos analyses ont révélé qu’une plus grande proportion de peuplements peu diversifiés et vulnérables à au moins une menace pouvant affecter plus de 75% du peuplement se trouve dans la portion nord-est du PNLM. Or, le nord du territoire a été identifié comme une zone de conservation à prioriser de par la qualité de ses habitats et son rôle important dans la connectivité. Il est donc recommandé de faire des interventions en priorité au nord du PNLM, basées sur une approche de diversité fonctionnelle, afin d’améliorer la résilience des peuplements forestiers aux changements globaux. Pour ce faire, il serait important de commencer par identifier les peuplements les plus vulnérables pour ensuite y intervenir en priorité. Les interventions sylvicoles recommandées sont celles qui permettront de favoriser la diversification et la connectivité fonctionnelles des peuplements forestiers. Enfin, il est préconisé de faire un suivi régulier et de sensibiliser les usagers afin qu’ils y participent et contribuent à la prévention des menaces biotiques et abiotiques.

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